La photographe d’événements et de portraits, Nadya Kwandibens, utilise son objectif pour raconter des histoires dynamiques et contemporaines sur les peuples autochtones.
En 2000, Nadya Kwandibens s’est inscrite à un programme de production de films au Confederation College de Thunder Bay en Ontario. La photographie était un cours obligatoire. Même si Mme Kwandibens a décidé de ne pas poursuivre le programme, elle s’est lancée dans quelque chose qui s’avérait plus qu’un simple passe-temps, sans le savoir. Elle a découvert une passion qui allait lui donner un nouveau but.
Mme Kwandibens travaillait pour CBC Radio et étudiait la littérature anglaise lorsqu’elle a déménagé en Arizona en 2005. La photographie était encore une activité qu’elle pratiquait seulement dans son temps libre. Cette activité a pris plus d’importance quand, un an plus tard, elle a commencé à prendre des réservations pour des séances de portraits. À mesure que la nouvelle s’est répandue, son agenda s’est rempli. Depuis, elle a travaillé sans arrêt.
Mme Kwandibens est une Anishinaabe (Ojibwe) originaire de la Première Nation d’Animakee Wa Zhing 37 dans le nord-ouest de l’Ontario. Elle a passé plus d’une décennie à visiter le Canada et les États-Unis en documentant et en partageant des portraits contemporains positifs sur les peuples et les collectivités autochtones. « Beaucoup de gens pensent que je travaille avec une équipe, mais je suis seule. C’est moi qui voyage et qui bâtis une archive », dit Mme Kwandibens, qui est aujourd’hui photographe d’événements et de portraits à Toronto. « Mon travail est profondément lié aux peuples autochtones et à nos racines. Le principal objectif de mon travail a toujours été de faire en sorte que mes photos représentent et illustrent exactement qui nous sommes en tant que peuples autochtones, en tant que nations de l’île de la Tortue, pour éradiquer les stéréotypes négatifs en mettant l’accent sur nos complexités, nos réalités et notre résistance au colonialisme continu. »
Pendant deux ans, ou ses « années crève-faim » comme elle les appelle, elle a peiné. « Passer à travers les mois d’hiver a toujours été difficile, mais je savais que je ne devais pas abandonner. Je crois en mon travail; il a pris vie et a une âme à lui », dit-elle. « C’est donc ma responsabilité en tant qu’artiste d’honorer cette âme et d’en prendre soin, de transmettre nos histoires et de faire une place pour une autre histoire. »
Elle a démarré son entreprise Red Works Photography en 2008 pour donner des images plus positives. « À l’époque, chaque fois que des gens autochtones apparaissaient dans les principaux médias, les images représentaient toujours des difficultés, des conflits et des stéréotypes. Red Works cherche à lutter contre cette représentation et montre que les réalités autochtones ne ressemblent vraiment pas à cela. »
Elle a nommé son entreprise Red Works pour honorer sa culture et son travail acharné. Dans certaines cultures autochtones, il existe un concept appelé « Roue médicinale ». Il consiste en quatre quarts de couleur où le rouge représente les peuples autochtones. Le mot « Works » ne représente pas que l’idée de l’œuvre artistique, mais aussi le concept direct du mot. « J’ai travaillé très fort pour amener ma photographie au point où elle en est afin de partager ma vision », dit Mme Kwandibens. « Pour avoir voyagé pendant des années, je peux dire que le travail préparatoire est fait depuis longtemps. »
Une série d’histoires
La même année, elle a lancé la première de trois séries qui remet en question la perception des peuples autochtones. La série Concrete Indians souligne les expressions de l’identité et de la décolonisation autochtones contemporaines. Mme Kwandibens photographie ses sujets de portrait souvent vêtus complètement ou partiellement d’une Regalia dans un milieu urbain. Comme pour toutes ses séries, il s’agit d’une audition ouverte.
Depuis le début, de nombreux participants ont communiqué avec empressement avec elle et ont partagé leurs histoires vécues, mais également ce qu’ils ressentaient par rapport à leur identité. « Passer du temps avec les gens, m’occuper d’eux et en apprendre plus sur eux et leurs vies est la base de ma pratique artistique », dit-elle. « C’est pourquoi je dis qu’il y a une énorme responsabilité qui accompagne ces histoires et ces portraits. Dans cent ans, de quoi se souviendront les gens? Il est important pour moi d’être fidèle au peuple. C’est quelque chose que je ne prends pas à la légère. »
L’une des photos de cette série est aujourd’hui affichée à l’entrée ouest de la bibliothèque de l’Université Ryerson à Toronto. Il s’agit du portrait en noir et blanc de Tee Lyn Duke, une membre d’une troupe de danse Anishinaabe. Mme Duke, entièrement vêtue d’une robe à franges de type Regalia, se tient debout dans une importante station de métro de correspondance pendant l’heure de pointe alors qu’une foule de navetteurs se dépêchent de rentrer à la maison. Cette photo sera affichée pendant cinq ans.
Sa propre enseignante
Mme Kwandibens est une photographe autodidacte. Récemment, elle s’est mise à apprendre elle-même la production et le montage vidéo. Jusqu’à maintenant, elle a réalisé deux projets d’installations triptyques pour des expositions de groupe. Elle a terminé « RE:Turning Home » pour Testify, un groupe collectif axé sur les lois et la gouvernance autochtones. Son montage aborde le traitement des enfants autochtones au sein du système général d’aide sociale ou de placement familial. « Ce projet était essentiel et assez émotionnel pour moi, car je suis passée par ce système moi-même », dit-elle. « Mon montage cherchait à transmettre visuellement ce que ça fait, et à mettre l’accent sur le rôle important qu’ont les cultures autochtones sur le développement et l’autonomisation de nos jeunes. »
Sa deuxième vidéo fait partie d’un projet de revitalisation culturelle de 2019 appelé « NISK and stories from the land ». Mme Kwandibens a voyagé au nord du Québec et a documenté des conversations non scénarisées entre les jeunes et les aînés des peuples autochtones.
Donner une voix
Mme Kwandibens offre aux gens la possibilité de raconter leur histoire en toute confiance. Elle est heureuse de constater qu’au cours de la dernière décennie, de plus en plus de photographes partagent des photos de différentes communautés autochtones. Elle a remarqué un changement dans la perception des gens envers les peuples autochtones. « Je constate les changements », dit-elle. « Ils se produisent lentement, mais doivent se faire beaucoup plus rapidement. Les cosmologies autochtones, nos perceptions et nos philosophies ont beaucoup à offrir aux générations actuelles et futures. En tant qu’artiste, faire partie de la continuité de ce processus est très significatif. »
L’an dernier, Mme Kwandibens a travaillé sur une campagne de sensibilisation dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (FFADA). Elle a parcouru le pays afin de recueillir des images de membres de familles qui ont perdu une sœur, une mère, une fille, une tante, une cousine ou une amie. Mme Kwandibens a pris le soin de donner la chance aux gens de raconter leurs histoires. Elle admet toutefois que la campagne a été très émotive pour elle. « C’était difficile à porter. Je n’ai pas pu sortir du lit pendant quelques semaines », dit-elle. « Cela fait vraiment appel à la force brute des gens qui ont vécu avec une telle injustice pendant si longtemps. »
Mme Kwandibens n’aime pas terminer une séance avec un sentiment aussi lourd. Il était important de pouvoir tirer une certaine énergie positive de ces conversations difficiles. « J’essaie toujours d’aider les gens à se sentir plus forts grâce au partage de leurs histoires », dit-elle. « L’ensemble de la campagne relative à l’Enquête nationale sur les FFADA est l’œuvre la plus percutante et la plus puissante que j’ai réalisée à ce jour. »
Sensibiliser un nouveau public
Les messages que cherche à transmettre Mme Kwandibens font écho. « Dans mes profils de réseaux sociaux, les gens commentent sur ce que l’œuvre représente pour eux et sur la façon dont un portrait ou une série les a encouragés et rendus fiers de qui ils sont », dit-elle.
Il y a quelques années, Mme Kwandibens a vécu un afflux de nouveaux abonnés à son compte Instagram après que la plateforme de réseaux sociaux l’ait mise en vedette. Ce public élargi lui a fait comprendre qu’il veut en savoir plus.
« Constater l’effet que ma photographie a eu est assurément gratifiant. Il est important de sensibiliser les gens pour qu’ils puissent mieux comprendre la réalité autochtone, notre réalité », dit-elle. « Cela revient à comprendre ma responsabilité en tant qu’artiste. Il y a tellement d’artistes autochtones qui travaillent dans différents courants et médias, qui font le même travail. Faire partie de ce cercle d’artistes est un grand honneur.